Berenice Lurton The owner of Chateau Climens, the chairman of Sauternes and Barsac council.

Nous pouvons donc commencer avant le 15 septembre comme après le 1er octobre, et les vendanges peuvent durer parfois jusqu’en décembre !

Nous effectuons plusieurs passages dans le vignoble, ne ramassons à chaque fois que les raisins atteints de pourriture parfaitement noble : avec des sécateurs à pointe affilée, il faut les sélectionner à l’intérieur de chaque grappe, jeter les raisins déficients et laisser les autres sur le pied. C’est un travail d’orfèvre, qui demande un soin permanent et une surveillance sans défaut. A Climens, par exemple, les vendangeurs sont encadrés, conseillés, surveillés en permanence, et chaque panier fait l’objet d’un contrôle dans le vignes. Pendant les pauses des vendangeurs, nous parcourons en tout sens les parcelles de vigne pour observer le développement du botrytis. L’expérience est indispensable mais ne remplace pas l’observation : le développement et la concentration du botrytis sont si irréguliers que les vendanges peuvent aussi bien s’arrêter pendant plusieurs semaines que se transformer en interminable marathon, ou bien même, dans le pire des cas , être abandonnées définitivement pour cause de pluie incessante.

Quant à la qualité du raisin ramassé, elle dépend beaucoup du climat du moment, et d’un savoir-faire irremplaçable : vendanger à Sauternes ne s’improvise pas !

Les vendangeurs néophytes sont complètement perdus au début, et pour peu que pourriture noble et pourriture grise cohabitent de façon généralisée, il s’agit pour eux d’un véritable casse-tête ! Nous devons donc les former, et suivant leur volonté et leurs aptitudes, il leur faudra de plusieurs jours à plusieurs années pour devenir véritablement compétents. Chez nous, les bons vendangeurs sont choyés et nous les considérons comme d’excellents artisans.

Mais si le temps en a décidé autrement, tout ce savoir-faire est inutile : nous aurons beau faire de notre mieux, nous n’aurons plus qu’à regarder la pluie détruire notre récolte après avoir essayé de sauver ce que nous pouvions ...Autant dire qu’à Sauternes, la Nature nous force à garder les pieds sur terre et à rester humbles dans notre travail ...Les conditions de production sont acrobatiques et onéreuses, les rendements faibles voire quasiment nuls certaines années (les Crus Classés produisent autour d’un verre de vin par pied de vigne, soit au mieux 1/3 ou 1/4 de moins que les Crus Classés de rouge ! ), les sauternais et barsacais ont donc la réputation d’être un peu « fadas » !

Pendant au moins dix ans, à chaque début de vendanges, je me suis moi-même dit : « nous sommes fous, nous voilà encore à couper des grappes en dix pour ramasser du raisin pourri, et à en jeter tout autant... » puis, je me suis habituée au fait d’être folle, et cela ne me semble même plus étrange de m’émerveiller devant de magnifiques grappes pourries !

Il faut dire que dans chaque cru, en fonction de son propre sol, des cépages et des méthodes utilisées, et bien sûr des conditions du millésime, on obtient un nectar unique et véritablement magique, la récompense de tous les sacrifices ... Et nous sommes si heureux qu’il existe partout dans le monde des amoureux de ces vins si sensuels, complexes et raffinés !

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